Le poète tunisien Slaheddine Haddad est né le 1er mai 1943 à Menzel Bourguiba et est décédé le 19 novembre 2023 à Kheireddine, banlieue-nord de Tunis. Il a écrit et publié la poésie et la prose en langue française depuis le début des années 90 jusqu’à 2018. Licencié en histoire qu’il a enseignée, il a collaboré dans les journaux et revues nationaux et étrangers (France, Canada…) par de nombreux articles de presse écrite. En 1999, il a été lauréat du Prix International de la Poésie Francophone Yvan Goll.
Parce que l’une des principales valeurs prônées et pratiquées par le poète ami Slaheddine Haddad figure la fidélité, à l’occasion du premier anniversaire de son départ le 19 novembre, s’impose l’idée de rendre un hommage posthume à sa plume. En effet, dans ses proses et ses poèmes, il a toujours cherché à mettre en avant la vérité telle qu’elle se révèle à ses yeux, autant qu’il aime être entouré d’amis fidèles avec lesquels il partage ses poèmes et ses proses.
La fidélité aux autres et à la réalité des choses, l’amitié et l’art sont les trois valeurs pratiquées et mis en évidence par le poète tunisien. En plus de son goût prononcé pour raconter ce qui constitue son enracinement identitaire, son enfance, ses parents, ses villes de cœur, le poète est ironique face à l’absurdité des choses de la vie. Il ne manque pas de tourner en dérision des situations, des attitudes et des scènes. Face au ridicule, à l’absurde et à la complexité de la vie, avec le sourire, il n’a de cesse de tenter de démasquer les lois internes et d’en attirer l’attention tout en simplifiant l’acuité. Tel un phénoménologue-philosophe, il est à la poursuite de la vérité. Si le sociologue et penseur Edgar Morin est connu pour son concept de la pensée complexe, il semble que Slaheddine Haddad n’est pas loin de porter une poésie complexe qui a la particularité de ne pas se livrer facilement.
En effet, hermétiques à première vue, il faudrait relire ses poèmes pour en débusquer et pénétrer une part de leur vérité. Composés dans un langage noble et une langue française parfaite, les poèmes de Haddad ne riment pas et ne charment pas par une sonorité ou une musicalité quelconque. Leur esthétique est à l’intérieur des mots. À l’image de la vérité qu’il traque, il s’agit d’une beauté intériorisée. La complexité de son écriture pousse le lecteur à être actif et à recréer le poème. Rien n’est donné, il faut créer avec l’auteur, de sorte qu’on se découvre auteur :
Habitudes
Ils nous habituaient à leur sourire
Et parce qu’ils devaient partir
Nous étions contraints de rester là
Comme des cerfs-volants
Ne sachant pas quelle face
Présenter à notre avenir
Paroles dans l’ocre et le bleu, Cérès Éditions, Tunis 2002.
Par ailleurs, Slaheddine Haddad ne manque pas l’occasion de relever en attirant l’attention sur les endroits où une beauté et une harmonie se profilent. Grâce à sa grande émotivité et sa sensibilité à fleur de peau, l’esprit, le cœur et l’âme du poète captent la beauté n’importe où elle se trouve dans notre quotidien. Comme son père, l’épicier jerbien de Menzel Bourguiba, Slaheddine Haddad doit avoir en lui une sorte de magasin où des beautés glanées se sont accumulées au fil de sa vie dans les strates de son âme. Au lieu de les étaler comme des articles de consommation facile qui attirent la foule, le poète qui n’est nullement commerçant, les travaille mille fois en les combinant, les arrangeant infatigablement puis les compile dans les pages de ses recueils.
A juste titre, le propos élogieux de la fondatrice de la revue de poésie «Comme ça et Autrement» et des éditions Potentille en 2007 en France, Anne Brousseaux, exprime dans le dernier recueil de Slaheddine Haddad «Je ne saurai jamais, Florilège» (Contraste Éditions, Sousse 2018, avec le concours de l’Institut français de Tunisie) l’idée d’une fidélité à la juste réalité : «Observateur qui capte sans cesse la complexité du monde, de l’existence, Slaheddine est un lucide, sa poésie sera sans concession. Il ne nous ment pas, il ne nous berce pas de chansonnettes illusoires, il nous dit ; et c’est en cela qu’il fait partie de ces poètes qui me sont indispensables, ceux qui consolent, qui accompagnent».
Qui dit accompagnement dit amitié, complicité, affection, fidélité, compréhension et don de soi :
Venez tous à moi !
Peu importe votre nombre, vos angoisses
Et le repli de vos sourires sur vous-mêmes.
Soigneusement
Je vous nicherai dans l’ouate inqualifiable de mon cœur.
Lentement et tous ensemble,
Nous voyagerons au plus profond de mon être, là, où vous ne sortirez nullement indemne de mon âpre affection.
«A La Goulette, une envie désordonnée de Petite Sicile», Editions Arabesques, Tunis 2010.
Avec évidence, l’art, sous toutes ses formes, est le concept majeur qui fonde les préoccupations les plus intimes de Slaheddine Haddad. C’est ainsi qu’au milieu des années 90 quand nous avions fait connaissance chez notre amie commune, l’artiste peintre Michelle Lassoued à Grombalia, il y a enseigné l’histoire et moi-même l’éducation plastique, Haddad m’a formulé le désir de voir plus tard ses deux filles être dans l’art, c’est justement ce qu’elles ont fait.
Puisse la poésie sans maquillage, non illusoire de Slaheddine Haddad, qui nous confronte avec la vérité, continuer d’accompagner les lecteurs à travers ses nombreux recueils qu’il a laissés à la postérité. Pour un abord aisé et pratique, je formule le souhait que ses deux filles aient la volonté de rassembler ces vingt-trois recueils publiés entre 1993 et 2018.
Mais avant l’accomplissement de ce projet, il y en a un autre, car j’apprends que Hager Haddad est à la recherche d’un éditeur pour le dernier manuscrit de son père, portant l’intitulé «Hogra».